Lorsqu'en 1983 "Thriller" prend des airs d'événement discographique sans précédent, Michael Jackson commence à caresser le doux rêve d'une première tournée solo. Le "Thriller Tour" lui permettrait enfin de voler de ses propres ailes sur scène. Mais l'HIStoire en décide autrement !
Le numéro exécuté par les Jackson 5 au Pasadena Civic Center pour l'émission spéciale MOTOWN 25 en avril de la même année ravive la flamme de la nostalgie. Joe Jackson, qui n'est alors plus sous contrat avec ses fils, leur propose de faire une dernière tournée, un dernier coup, une série de concerts qui rendraient un bel hommage à la famille toute entière. Pour rajouter une couche de violons, le "retour" de Jermaine, qui vient de quitter MOTOWN pour ARISTA, recrée virtuellement l'ambiance et la magie des premières années. A l'écoute du projet de son père, Michael pense à l'investissement personnel que représente sa propre carrière. En tant que simple membre des Jacksons, jamais il n'aurait pu espérer rencontrer un tel succès. Michael n'est plus connecté avec le monde de ses frères : sa musique, sa voix et son style n'ont plus leur place dans le conformisme du groupe. Pire encore : ses frangins tentent de le "rattraper" en le singeant de manière grotesque : quand ce n'est pas Jackie qui se fait une coupe curly, c'est Randy qui porte des lunettes d'aviateur. De son côté, Jermaine ne tarde pas à porter des vestes d'officier...
Michael Jackson ne veut pas faire le "Victory Tour". Sa seule motivation est de faire plaisir à sa mère. Cette dernière a la dure mission de le convaincre une dernière fois. Joe veut non seulement voir sa progéniture ensemble à nouveau mais aussi faire marcher la planche à billets. Mme Jackson, épouse bien soumise, fait tout pour exaucer le souhait de son mari.
Dès la mise en chantier de la tournée, les problèmes commencent à surgir. Les luttes d'influences autour de l'organisation du "Victory Tour" sont clairement exposées dans la rubrique Chronologie.
Le sujet qui nous intéresse ici est la teneur et l'intérêt artistique du show Jackson version 84.
Ne s'impliquant pas complètement dans ce nouveau spectacle, Michael n'exploite pas certaines idées qu'il préfère garder au chaud. Il ne souhaite interpréter aucune chanson extraite de "Victory", le dernier album studio du groupe. Le seul titre de 84 figurant au programme est "Tell Me I'm Not Dreamin' (Too Good To Be True)", où Michael retrouve Jermaine pour un duo à la rythmique efficace mais que le public peine à reconnaître.
Le répertoire interprété chaque soir s'articule autour du même axe que celui du "Triumph Tour". Des chansons jugées trop vieilles ou plus de circonstance comme "Ben", "Can You Feel It" et "Don't Stop 'Til You Get Enough" sont remplacées par des extraits de "Thriller".
Tout comme l'album "Victory", le spectacle des 6 frères ressemble plus à une tournée de Michael Jackson avec les Jacksons qu'à un show traditionnel.
Toujours inédit en support vidéo officiel, des bandes pirates du concert filmées à Dallas et Kansas City permettent de se faire une idée concrète de l'ambiance qui règne sur scène. Derrière les paillettes, les lumières et les effets spéciaux, un malaise se fait sentir, persistant et glacial. Michael, glissant dans des tenues sur-strassées à mi-chemin entre Peter Pan et Sergeant Pepper, cloue ses frères sur place. Les pauvres ne peuvent rien faire, ils sont asphyxiés et doivent se contenter du rôle dérisoire de choristes. Ils tentent de s'accrocher aux branches et de s'imposer aux côtés de leur jeune frère, mais rien n'y fait. La scène du "Victory Tour" est fendue en deux. Les cris du public dirigés vers Michael illustrent trop bien ce précipice séparant les deux entités.
Au lieu d'être une réunion et la célébration d'une fraternité exemplaire, le spectacle vire au règlement de compte en direct, sans bluff ni trompe l'oeil.
Déjà, il y a le set de Jermaine qui fait violemment retomber l'ambiance. Chantant étrangement faux et ne pouvant tenir en haleine l'auditoire d'un stade de foot, Jermaine semble réaliser que cette tournée n'est pas celle du groupe, et encore moins la sienne. Tito et ses gratouillages de guitare ont l'air bien ridicules face à un Eddie Van Halen, invité V.I.P. personnel de Michael lors du concert du 14 juillet à Dallas. Ce soir-là, "Beat It" connaît sa plus belle heure sur scène. Le reste du temps, Randy frime, Marlon danse et ne demande pas son reste, mais la tension demeure pesante. Les frères se déchirent. Philippe Manoeuvre, auteur d'une biographie sur Michael Jackson (1988), atteste à plusieurs reprises avoir vu dans les regards des frères une haine et une rancoeur rarement observées sur scène entre les membres d'un même groupe. Michael, vrai pro, assure le show, sûrement flatté par l'accueil que "son" public lui réserve à chaque prestation.
Le "Victory Tour" est aussi la tournée de tous les dangers. Des menaces de mort proférées contre Michael au succès grandissant de Prince avec la sortie estivale du film "Purple Rain" sur les écrans américains, l'empire Jackson se réserve de belles sueurs froides. Si le public applaudit chaudement l'interprète de "Beat It" et de "Billie Jean", ses pairs et idoles tels Mick Jagger et James Brown n'hésitent pas à décliner ses invitations : pas de duo événement à New York ou ailleurs ! Au même moment, Michael, "de plus en plus bizarre" pour beaucoup de gens, voit sa côte de popularité descendre en flèche auprès des médias. La surexposition de la jeune star fait son effet boomerang. Malgré tous ces problèmes de coulisses, le spectacle continue. Les derniers concerts de la tournée, donnés à Los Angeles, sont synonymes de libération pour Michael. Le soir de la dernière, lorsqu'il déclare : "Ceci est notre tournée d'adieu, ce fut une période incroyable, plus de 20 ans passés avec vous, nous vous aimons tous !", la sentence est tombée, rideau final. MJ ne chantera plus avec ses frères. Marlon non plus d'ailleurs. Katherine, à la demande de son mari et de ses enfants, tente à nouveau de convaincre Michael en 1988 pour une autre tournée, en vain. Show mythique où le Business a pris une place dépassant l'entendement, le "Victory Tour" illustre à la perfection l'extrême folie et la mégalomanie de la famille Jackson, qui livre-là le plus bel épisode d'une saga pourtant déjà riche en rebondissements.